e-sante : Vivre heureux est quelque chose d’inné ou qui nécessite un apprentissage ? Dr Christophe André : Les deux ! Comme pour la plupart des traits psychologiques, il existe, dans l'aptitude au bonheur, à la fois des prédispositions émotionnelles, innées, liées au tempérament (se sentir plus ou moins facilement et spontanément de bonne humeur) sur lesquelles va s'inscrire un style psychologique, acquis, lié à la trajectoire de vie individuelle (modèles parentaux, styles éducatifs, événements de vie). Mais le bonheur est un état instable, labile par essence. Nous sommes donc tous des intermittents du bonheur. Et nous avons, pour la plupart, besoin d'apprendre à mieux l'accueillir, le préserver, le susciter. C'est cela, l'apprentissage du bonheur. Pour les plus chanceux, cet enseignement a été offert très tôt par la vie (avoir un heureux tempérament, des parents eux-mêmes aptes au bonheur). Pour la plupart des autres, le travail reste à compléter à l'âge adulte…
e-sante : Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que vous intitulez « bonheurs sauvages » et « bonheurs d’élevage » ? Dr Christophe André : Le bonheur n'est pas un luxe, mais un besoin. Nous avons besoin de bonheur, et pas seulement de bien-être, car nous sommes des animaux dotés de conscience, notamment de la conscience que nous sommes mortels. Ce que rappelait Woody Allen avec sa boutade : « depuis que l'Homme sait qu'il est mortel, il a du mal à être tout à fait décontracté… ». Pour éviter que cette conscience angoissante ne nous empêche de profiter de la vie, nous autres humains avons inventé le bonheur, cet antidote extraordinaire à la peur de la mort, qui nous donne un sentiment de plénitude et de suspension du temps. Comme le bonheur est un besoin, les humains ont toujours cherché à s'en rapprocher et à en éprouver autant que possible. Exactement comme pour d'autres besoins, comme l'alimentation (en passant du statut de chasseurs-cueilleurs à celui d'agriculteurs-éleveurs) ou la lumière (en ajoutant à la lumière naturelle de la lumière artificielle, de la bougie à l'électricité). Le questionnement a été le même pour le bonheur : si on se contente de l'attendre passivement, on risque de se retrouver au régime sec ! Il faut donc apprendre à le construire, le susciter, le créer… Mais nous avons besoin des deux : les bonheurs sauvages, qui nous sont offerts, qui nous surprennent. Et les bonheurs d'élevage, de jardinage, qui sont le fruit de nos efforts.
e-sante : Quels conseils donneriez-vous pour vivre heureux ? Dr Christophe André : Pour faire très simple, il y a trois grandes clés : 1) Ne pas se rendre plus malheureux que nécessaire, ne pas confondre ennuis et malheur. Les tentations de la tristesse, du spleen, de la nostalgie, nous guettent. Souvenez-vous de cette belle phrase de Victor Hugo : « la mélancolie, c'est le bonheur d'être triste ». Il faut donc apprendre à lutter activement contre la mauvaise humeur inutile… 2) Ne pas tout confondre : il y a des moments dans la vie, des lieux dans le monde, où la question qui se pose n'est pas celle du bonheur mais celle de la survie. Il est indécent de parler du bonheur à quelqu'un qui fait face au deuil, à la misère, à la violence. Il faut savoir accepter les parenthèses du bonheur, en veillant simplement à rendre son retour possible… 3) Il faut construire son bonheur, et non l'attendre. Je ne sais plus quel philosophe disait : « le bonheur est à faire, et non à prendre ». Il est à faire de mille et une façons : accueillir les petits bonheurs, cultiver les émotions positives, développer son altruisme, apprendre un optimisme lucide…
* Christophe André est médecin psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne et enseignant à l'Université Paris 10. Il es l'auteur de nombreux ouvrage dont « Vivre heureux. Psychologie du bonheur », Paris, Odile Jacob, 2003 ; « Petites angoisses et grosses phobies », Paris, Éditions du Seuil, 2002 (avec l'illustrateur Muzo) ; « La force des émotions », Paris, Éditions Odile Jacob, 2001 (avec F. Lelord) ; « La peur des autres : trac, timidité et phobie sociale », Paris, Éditions Odile Jacob, 2000 (avec P. Légeron) ; « L'estime de soi », Paris, Éditions Odile Jacob, 1999 (avec F. Lelord) ; « Comment gérer les personnalités difficiles », Paris, Éditions Odile Jacob, 1996 (avec F. Lelord). |