Vivre, mais de quelle vie (Anne Bonaventure)
Le samedi c'est plus tranquille il y a moins de monde sur l'autoroute au-dessus. Je peux me reposer un peu. Les enfants n'ont pas de classe. Ils jouent. Ma mère et ma tante sont parties faire des courses. Nous avons obtenu des bons de nourriture. Ce sont elles qui font à manger, moi je suis trop fatiguée, j'ai perdu du sang. Cela fait si longtemps que je n'ai pas eu des moments de répit.
Je viens de faire la lessive, quelques vêtements que la Croix Rouge nous a donnés. Sur le terrain nous avons pu installer deux caravanes en attente de logements que la mairie nous a promis, heu non pas la mairie, Emmaüs. Les fonctionnaires nous disent que nous pouvons rester, mais je sais que c'est faux. Ils aimeraient nous renvoyer au Kosovo. Nous n'avons pas de papier. Cela fait déjà plusieurs années que nous sillonnons l'Europe. Aucun pays ne veut nous accueillir. Nous avons déjà demandé à l'Allemagne avant d'arriver dans cette ville de province.
Je suis encore enceinte, c'est le deuxième enfant que je fais naitre en France. Mon père est malade, il est à l'hôpital. Nous avons peur. Il va se faire opérer, mais nous ne savons pas de quoi. Nous pleurons tous. Avant la caravane, nous étions tout l'hiver, sous un pont. Toute ma famille : papa, maman, mon frère, sa femme, ma jeune soeur, mon mari et les enfants, et ma toute petite. Je ne pouvais plus lui donner le sein, plus de lait.
Les toilettes sur le quai ont été fermées quand on nous a découverts. C'était très dur. Nous n'avions plus d'eau.
Des gens sont arrivés et nous ont apporté du café, du pain, des couches pour ma fille et des couvertures. Tous les dimanches, maintenant, nous allons dans leur église , ils nous font un repas chaud. Nous sommes musulmans, mais ce sont ces gens les premiers qui nous ont aidé. C'est eux qui ont tout fait pour que nous puissions avoir ces caravanes et ne plus être dehors sous la pluie. Heureusement qu'ils nous ont trouvé, nous avions si froid et étions tous trempés et n'avions pas mangé depuis plusieurs jours.
Le plus dur c'est de ne pas comprendre la langue, on s'imagine des tas de choses horribles. Je sais qu'on ne va pas nous permettre de rester ici, ils ont peur que d'autres viennent s'y installer. Je vais accoucher dans 4 mois. Mon mari est parti, j'espère qu'il ne fera pas de bêtises. Nous avons fui pour vivre, ici nous avons toujours peur de vivre.